Jaunisse de la betterave Pour la filière, « le temps est compté ! »
Les acteurs de la filière de la betterave attendent avec impatience que le gouvernement l’accompagne afin de trouver une issue à la crise sanitaire induite par la jaunisse de la betterave. Les quatre régions les plus touchées ainsi que la Confédération générale de planteurs de betteraves n’ont pas manqué d’alerter les autorités.
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Le mercredi 29 juillet 2020, les quatre vice-présidents en charge des questions agricoles des Hauts-de-France, du Grand Est, de la Normandie et de l’Île-de-France étaient réunis en conférence de presse avec la CGB (Confédération générale des planteurs de betteraves) pour presser le gouvernement de mettre en place une dérogation pour l’usage des néonicotinoïdes sur les semences de betteraves.
« La situation actuelle est dramatique, explique Marie-Sophie Lesne, vice-présidente de la Région des Hauts-de-France. On est à la veille de perdre un fleuron de notre économie agricole. On va perdre beaucoup d’emplois. Quand ce château de carte va s’écrouler, on ne les retrouvera plus. »
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En septembre, « il sera trop tard »
La perte de marge pour les agriculteurs pourrait s’établir à 1 000 euros par hectare dans les cas les plus graves, selon Marie-Sophie Lesne. Nombre d’exploitants risquent d’arrêter cette culture, entraînant avec eux l’arrêt de l’industrie du sucre en France. « Il faut décider vite. Le temps est compté ! », s’exclame-t-elle.
« Le colza dont les emblavements vont commencer d’ici peu représente une culture de substitution à la betterave », rappelle Franck Sander, président de la CGB. Les semis de blé et d’orge qui commencent à la fin de septembre doivent aussi s’anticiper. C’est donc aujourd’hui que les assolements se décident dans les fermes. « Au mois de septembre, il sera trop tard. C’est d’ici à 15 jours ou trois semaines qu’il faut agir », ajoute le président de la CGB.
Par ailleurs, la production de semences impose aussi un délai puisque pour obtenir les graines enrobées en mars prochain, il faut passer les commandes de l’insecticide en septembre.
Une dérogation pour quelques années seulement
« On ne demande pas un retour aux néonicotinoïdes, mais une dérogation pour un temps dans le but de permettre à la recherche de trouver une solution, explique Franck Sander. On ira de toute façon vers la fin des néonicotinoïdes. » Pour lui, la solution viendra de la recherche variétale. Les programmes sont lancés mais on ne peut pas espérer une variété tolérante à la jaunisse avant 5 à 7 ans. « Mais si l’État avait fait l’effort de recherche depuis 2016, on aurait peut-être trouvé. Il n’est pas exempt de tout reproche », affirme-t-il.
Le président de la CGB rappelle aussi que la filière s’engage à ne pas implanter de plante mellifère après la betterave pour limiter encore plus les risques pour les abeilles. Quant à la dose, il explique qu’elle pourrait être réduite. « La dose utilisée avant 2018 permettait d’empêcher toute apparition de résistance. » Mais dans l’optique d’un arrêt total des néonicotinoïdes d’ici quelques années, le phénomène de résistance n’est plus problématique.
La distorsion de concurrence au niveau européen
L’interdiction de l’usage des néonicotinoïdes est une loi européenne qui laisse la place à des dérogations. Douze producteurs européens l’ont demandé et obtenu. La France a de son côté surtransposé la loi européenne par une interdiction franco-française qui bloque toute dérogation. C’est ce qui a fait dire au ministre de l’agriculture, Julien Denormandie lors de son audition à l’Assemblée nationale le 29 juillet 2020 qu’aucune autorisation dérogatoire n’était « juridiquement » possible sans modifier la loi : « Nous avons regardé juridiquement la chose. Sans modifier la loi, rien n’est possible. » Or selon lui, une nouvelle loi arrivera nécessairement trop tard pour assurer les emblavements pour la campagne de 2021. Le ministre a donc rappelé qu’il travaillait actuellement à un « plan de soutien », et qu’il se « bat pour être sûr que cette filière ne disparaisse pas ».
Mais la CGB se montre relativement hostile à un soutien financier pour les années à venir. « On parle d’une perte à 150 millions d’euros pour l’instant. On ne va pas perfuser une filière alors que l’on a la solution, explique Franck Sander. Ce serait particulièrement irresponsable au moment où nombre de filières économiques ont besoin de soutiens pour traverser la crise du Covid-19. Si on était comme les autres filières, sans solutions, pourquoi pas ? Mais aujourd’hui, on a la solution. »
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De lourdes conséquences environnementales
Alors que la betterave est un pilier important des assolements dans les régions de production, sa disparition va entraîner un raccourcissement des rotations, « ce qui va à l’encontre d’une diminution des IFT (indice de fréquence de traitement) et de l’agroécologie », précise Franck Sander. Par ailleurs, elle risque d’entraîner dans sa chute d’autres filières vers qui les agriculteurs se rabattront comme celles de la pomme de terre ou du lin. La filière de la luzerne qui, elle, est très liée risque aussi de voir son équilibre compromis.
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De multiples incohérences
« On entend partout qu’il faut remettre des usines sur notre territoire », rappelle Clotilde Étudier, vice-présidente de la Région Normandie. Il serait donc particulièrement inapproprié de mettre à néant une filière entière qui est génératrice de 45 000 emplois (directs et indirects).
Par ailleurs, Guillaume Gandon, directeur de la CGB, rappelle que la betterave n’attire pas les abeilles puisqu’elle ne fleurit pas. « Il n’y a ni fleur, ni pollen. » Pour lui, la matière active ne semble pas non plus dangereuse pour les hommes puisque cette molécule est présente sur les colliers antipuces des chiens et des chats.
Enfin, Frank Sander prévient que si la filière s’écroule, la France va devoir importer du sucre. Ce sera très probablement en provenance du Brésil, où 70 % des pesticides utilisés sont issus de molécule interdite en Europe.
« Si l’État ne fait rien, on pourra parler de démantèlement volontaire », s’insurge Guillaume Gaudon. Franck Sander se dit plutôt confiant puisque les pouvoirs publics ont conscience du problème. Mais si rien n’est décidé dans les semaines à venir, il n’exclut pas d’employer d’autres moyens et d’inviter la profession à manifester.
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